Hollywood, IA et la fin d'un monopole ?
- Nathan Fischer
- il y a 3 jours
- 2 min de lecture
Imaginez un monde où les superproductions disparaissent non par manque de public, mais parce que des outils accessibles permettent à de petits collectifs de créateurs de produire des oeuvres comparables visuellement, pour une fraction du coût. C'est le futur que décrit Doug Shapiro, analyste des médias et conseiller au Boston Consulting Group, dans un entretien pour Newsweek. Un futur où l'IA générative rebat les cartes de l'industrie du divertissement.
L'économie des studios traditionnels reposait jusqu'ici sur deux "douves" protectrices : la distribution (coûteuse et techniquement complexe) et la création de contenu (risquée et capitalistique). Internet a déjà pulvérisé la première. L'IA est en passe de fissurer la seconde.
Selon Shapiro, la production audiovisuelle pourrait connaître une chute de coûts comparable à celle provoquée par Internet dans la distribution. Il cite l'exemple de "Where the Robots Grow", un long-métrage d'animation réalisé par 9 personnes en trois mois pour 700 000 dollars grâce à l'IA, là où une production DreamWorks en coûte habituellement plus de 100 millions. Même sans IA, le succès du film letton Flow, réalisé sous Blender pour 3,6 millions et vainqueur de l'Oscar 2024 du meilleur film d'animation, illustre ce mouvement de fond.
Mais au-delà de la technique, c'est la définition même de la "qualité" qui bascule. Shapiro souligne que les spectateurs préfèrent souvent scroller sur Instagram Reels plutôt que lancer un film sur Netflix : non pas parce que les contenus y sont mieux produits, mais parce qu'ils sont plus engageants, plus personnels, plus authentiques. L'émotion, la proximité, la pertinence contextuelle prennent le pas sur la sophistication formelle.
Dans ce paysage, la notion de microcultures prend toute son importance. L'économie de l'attention se fragmente. Créer pour un segment précis, pour une communauté, pour une niche devient non seulement possible mais viable. La baisse drastique des coûts de production rend possible ce que l'industrie ne savait plus faire : du "milieu de gamme", des oeuvres singulières et ciblées.
Ce changement peut être perçu comme une menace pour le modèle hégémonique hollywoodien, mais aussi comme une extraordinaire opportunité pour les créateurs. L'IA ne remplace pas l'humain ; elle réduit les frictions techniques et ouvre la voie à des formes d'expression nouvelles. Comme le dit Shapiro, les systèmes actuels ne savent pas encore "partir de la fin de l'histoire et remonter à rebours" comme le font les scénaristes. Mais ils peuvent démultiplier leur puissance d'action.
L'enjeu, demain, ne sera pas tant de produire que de distribuer. L'attention devient la ressource rare. Les plateformes, par leur rôle de curateurs et de détenteurs de l'accès, prennent une place centrale. Mais dans un monde où la création devient plus fluide, plus distribuée, plus incarnée, l'agilité narrative, la compréhension des publics et la capacité à créer du lien resteront les atouts majeurs.
Le monopole des grandes machines est en train de s'effriter. Et avec lui, peut-être, s'ouvre une nouvelle ère d'invention culturelle. Moins de centralisation. Plus de réinvention.
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